La lettre de Léosthène, le 27 novembre 2010, n° 624/2010 - Cinquième année. Bihebdomadaire. Abonnement 350 euros.
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mardi 30 novembre 2010, par Comité Valmy
Les responsables politiques européens traversent ce que tous les politiques vivent dans des crises semblables, des phases de déni, un choc avant une acceptation finale écrit Stephen Fidler pour le Wall Street Journal – restant taiseux sur la situation américaine (1). Et comment traversent-ils l’épreuve ? Le paradoxe est que, alors qu’Angela Merkel s’exprime tous les jours sur le sujet, Paris observe pendant ce temps un mutisme quasi total regrette Dominique Seux dans les Echos (2). Il ne faut pas, explique-t-on, embarrasser notre principal partenaire par des déclarations . Pourtant, l’opinion française a elle aussi le droit de savoir ce que ses gouvernants craignent, espèrent et veulent construire pour leur monnaie et leur continent .
Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen aurait aussi préféré ne pas avoir dit ce qu’il a dit , commente le Spiegel (3). Deux jours après, il a déclaré avoir été mal compris. Il s’est apparemment exposé un pas trop loin. Mais ça ne change rien au fait que sa déclaration en elle-même (« nous vivons une crise de survie ») – était juste . Déclaration remarquée aussi par Ambrose Evans-Pritchard pour le Telegraph britannique (4) : ainsi écrit-il, Herman Van Rompuy reconnaît donc que le pari d’avoir lancé prématurément l’euro en ne disposant ni d’un Trésor central, ni d’une mise en commun des dettes nationales, ni d’un gouvernement économique pour le soutenir - et ce avant que les économies, les systèmes juridiques, les pratiques de négociation salariales, l’amélioration de la productivité et la sensibilité des économies aux taux d’intérêt ne soient parvenus à un degré de convergence suffisant du nord au sud de l’Europe – est maintenant susceptible de provoquer un terrible choc en retour .
Les Britanniques, direz-vous, n’apprécient historiquement pas la construction européenne telle qu’elle s’est faite. Mais le constat d’Ambrose Evans-Pritchard ne serait pas désavoué par Jacques Delors qui s’est exprimé récemment sur le sujet (5). Et ce qui est nouveau est que chacun avec ses convictions partisanes reconnaisse un risque, parfois avec des accents épiques : Ils n’auront pas l’euro ! Jamais aucun pays, une fois entré dans l’euro, ne le quittera écrivait ainsi Eric le Boucher dans les Echos (6). Jamais surtout parce que pour un gouvernement qui déciderait une sortie, ce serait un suicide devant l’Histoire. il laisserait la trace d’une honte nationale . Et d’exprimer sa crainte : Parce qu’enfin le tricot européen se déferait rang par rang (...) . Peu importe à qui revient la responsabilité du désordre : Dominique Strauss-Kahn y voit l’échec des institutions européennes. D’autres celle de l’égoïsme des Etats membres, ou encore celle des marchés et du système qui leur a assuré une totale liberté.
L’essentiel est dit : Imaginer l’impensable, un éclatement de la zone euro ose publier le Nouvel Observateur, peu soupçonnable d’euro scepticisme, le 25 novembre. Inimaginable il y a quelques semaines, ce scénario fait son chemin chez un nombre, certes encore réduit, mais croissant d’experts, au cas où les dirigeants de l’UE ne parviendraient pas à s’unir autour d’une stratégie forte pour sauver l’euro et à répondre aux inquiétudes des investisseurs sur leurs déséquilibres (7). Et, après avoir présenté une kyrielle d’opinions divergentes, l’analyse s’achève par la réflexion d’un ancien membre du Comité directeur du Fonds monétaire international, Domenico Lombardi : C’est une crise systémique qui appelle une réponse systémique mais nous ne l’avons pas vue pour l’instant. On la traite pays par pays, d’abord la Grèce, maintenant l’Irlande, et vous pouvez être sûrs que ce ne seront pas les derniers ".
Que les experts se montrent, bavardent, polémiquent, rien que de très normal. Mais les politiques ?
Pour l’heure, ils s’efforcent d’éteindre l’incendie irlandais et les débuts de feu qui se déclarent ici et là, sur fond de scepticisme entretenu par des voix autorisées – celle de Pierre Tallot (8), par exemple, cité par le Monde, à propos du Fonds européen de sauvegarde financière (FESF) mis en place lorsque s’est déclarée la crise grecque : " L’important, c’est d’envoyer un message politique fort, et de dire aux investisseurs que l’Europe assure les remboursements tant que ça va mal, et même après la fin programmée du FESF en 2013. De toute façon, dans le cadre actuel, ça ne peut pas marcher indéfiniment. Il faut garder à l’esprit que le FESF est alimenté par les Etats de la zone euro. Or, un pays bénéficiaire du fonds ne peut, de fait, plus financer ses garanties : si un pays comme l’Espagne, qui représente près de 10 % du PIB européen, se désengage, on entre dans une spirale négative où le fonds sera de moins en moins efficace, et les pays de plus en plus demandeurs. Il est urgent, dans ce contexte, de sécuriser au mieux le mécanisme ".
Et ils offrent à leurs citoyens médusés des discours de marketing, pour reprendre le mot d’Alain-Gérard Slama dans sa chronique matinale de France Culture. Les perspectives politiques ? Qui anticipe les conséquences de la crise de l’euro ? De celle de l’Union européenne ? Si l’on écoute au travers des portes fermées, peut-on entendre autre chose que des calculs électoraux ? Parce qu’ils sont rattrapés par la réalité – et par les mesures de précaution prises, au-delà des acteurs des marchés financiers, par leurs partenaires eux-mêmes dans un silence médiatique général, par le Sénat américain par exemple, avec cet amendement du sénateur John Cornyn, adopté par 94 voix contre zéro : il requiert de l’administration Obama une évaluation de toute aide à une nation étrangère dont la dette publique dépasse le PIB annuel (...). Si l’administration ne peut pas certifier le remboursement de l’aide, elle devra s’opposer à son octroi et voter contre au FMI (9). Non, ça ne peut pas marcher indéfiniment. Mais des échéances à venir on n’entend parler qu’à voix basse, et les confidences doivent rester anonymes.
Pourtant, l’Europe est un continent d’abord, riche dans ce monde inégal, de ses hommes, de sa diversité, de son savoir faire, de son poids commercial – elle existe au-delà de l’euro, au-delà de l’UE, au-delà d’une somme de traités de papier. Traités qui permettent d’ailleurs, comme il nous a souvent été répété, d’évoluer – les possibilités de coopérations renforcées, autre nom pour accords bilatéraux ou régionaux ont été élargies dans le traité de Lisbonne. Explorer les chemins possibles, les mettre en perspective, sortir des faux semblants, des incantations et de l’immobilisme est une nécessité, pas une hypothèse. D’autres y pensent et ouvrent des pistes (10). Une communauté économique de Lisbonne à Vladivostok ? Oui ? Non ? Trop tôt ? Trop tard ? Débattons, il est essentiel de bouger. Et prenons un pari : la situation y obligera les dirigeants. Sont-ils encore dans le déni, sonnés sous le choc ou enfin en phase active ?
Ainsi, la seule question qui se pose réellement est celle du calendrier. Il y aura une suite à l’aventure. La mue est en cours, plus rapide qu’on ne le pense.
Hélène Nouaille
Notes :
(2) Les Echos, le 26 novembre 2010, Dominique Seux, Paris doit parler plus, Berlin moins
(3) Der Spiegel-on-line, le 22 novembre 2010, Spiegel Staff, Can the euro still be saved ?
(5) Voir Léosthène n° 573/2010, Union européenne : le compte à rebours
(6) Les Echos, le 19 novembre 2010, Eric le Boucher, Ils n’auront pas l’euro !
(10) EUObserver, le 26 novembre 2010, Valentina Pop, Russia proposes Russia-EU Union
Ria Novosti, le 26 novembre 1010, Vladimir Poutine fait de l’oeil à l’Europe
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