Source : Bloc-notes de Bernard Langlois - jeudi 28 mai 2009,
Européennes : Le Boycott de Bernard Langlois
mardi 2 juin 2009, par Comité Valmy
L’interdit gaulliste
Voici revenu le temps des cabris, comme disait le Général, qui avait du vocabulaire et de la verve. C’était entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965, et il était interrogé sur l’Europe par mon confrère Michel Droit, un gaulliste pur jus, qui ne risquait pas de lui chercher des poux sous le képi. Mais, même en réponse à des questions convenues, c’était toujours un régal d’écouter le vieux chef d’État dans ses numéros de voltige, on n’en dira pas autant de celui d’aujourd’hui. Il s’était donc gaussé des européistes de l’époque en les comparant aux petits de la chèvre : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe !... Mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien… [1] » Le général n’était pas anti-européen. D’abord, il avait été l’un des acteurs essentiels, avec le chancelier Adenauer, de la réconciliation franco-allemande, pierre angulaire indispensable à toute construction européenne. Il disait « prendre le traité de Rome comme il l’avait trouvé [2] », même s’il ne cachait pas qu’il l’aurait négocié autrement. Mais il s’opposait fermement à une Europe supranationale, une fédération bâtie dans la précipitation, de bric et de broc, qui en l’état ne pouvait être que sous tutelle américaine (d’où aussi son opposition à l’entrée de la Grande-Bretagne, qui de l’aveu même de Churchill ferait toujours « le choix du grand large » ; c’est Pompidou qui leva l’interdit gaulliste, en 1973). « Les cabris », pour de Gaulle, étaient donc les chantres d’une Europe province de l’Empire, succursale de l’hypermarché mondial à l’enseigne unique de l’american way of life, agence locale de la Federal Reserve, annexe du Pentagone et base avancée de l’US Army (je caricature à peine). Ils s’incarnaient en Lecanuet et ses partisans centristes.
Fourrier
Eh bien, grâce à l’Angleterre, qui en fut le fourrier, c’est exactement ce qu’elle est devenue, l’Europe. Cette zone de libre-échange, espace marchand sans âme, sans principe, sans projet autre que d’ouvrir toujours de nouveaux rayons, de nouvelles succursales, de nouvelles agences bancaires. Non une Europe des nations « de l’Atlantique à l’Oural », comme la rêvait de Gaulle ; non une Europe des peuples, comme on peut la souhaiter dans l’idéal d’une gauche radicale et internationaliste ; mais une Europe américaine, de Berlin à Vancouver, comme les libéraux s’emploient à la construire dans le secret des cénacles et sous la tutelle des lobbies. Une Europe que, pour ma part, je me refuserai toujours de cautionner, si je suis bien contraint de la subir.
Boutiquier
Mais justement, me dit-on (et certains vieux amis notamment), nous sommes en train de changer tout ça ! Et le levier pour soulever cette chape, le bélier pour forcer cette forteresse – on ne sort pas des comparaisons caprines –, c’est ce Parlement européen pour lequel nous allons voter le 7 juin. Ma parole, ils me prennent pour une chèvre ! Ce Parlement n’a pas de réel pouvoir. Il ne peut rien décider, rien imposer sans l’aval de la Commission, qui elle-même dicte ses lois au Conseil des ministres. Qu’est-ce qu’un Parlement qui se borne à souhaiter, à proposer, à suggérer (respectueusement) à ses maîtres sans jamais pouvoir imposer sa volonté – quand bien même il serait autre chose qu’une palanquée de notables tenus bien au chaud (c’est un sacré bon job, député européen) où les convictions ultralibérales sont ultramajoritaires et où les quelques interventions dignes d’intérêt se noient dans les sables d’une indifférence générale ? C’est un Parlement croupion. Et tant pis si je suis un sot : le sot l’y laisse !
On se passera donc de moi, le 7 juin, au bureau de vote de mon village. Et, si l’on en croit les sondages, je ne serai pas le seul à m’abstenir. Bien le bonjour du vieux bouc, les cabris [3]) !
S’il y avait eu quelque chance de faire émerger une gauche de gauche un peu musclée, regroupant tous ceux qui, de la gauche du PS aux trotskistes en passant par le PC, les écolos conséquents et autres Alternatifs, ont voté « non » au référendum sur le traité constitutionnel, je me serai fait une douce violence – en pensant du reste surtout aux enjeux nationaux : l’unité, enfin, que nous n’avons pas été foutus de faire pour la présidentielle. Même pas ! Les mêmes boutiquiers font boutiques séparées – et je ne veux pas faire de choix entre leurs étalages : de Besancenot et son Nulle Part ailleurs, à Mélenchon enfermé dans son tête-à-tête amoureux avec Buffet (le PC y aura au moins gagné un sursis, avec un orateur), en passant par Bové, qui, dans son alliance avec Cohn-Bendit, semble renier ses engagements de campagne pour le « non » [4], pas un pour racheter l’autre ! Tous ensemble, ils auraient pu faire un joli score : ils seront rivaux dans la déconfiture et compteront leurs élus sur une main sans doigts. Bien fait ! (Et il va de soi que je n’engage que moi…)
Notes [1] Visionner cette intervention (ou juste la petite phrase) sur le site de l’INA : http://www.ina.fr/archivespourtous.
[2] À la différence de Mendès, qui avait voté contre sa ratification, le jugeant d’essence trop libérale et trop peu démocratique.
[3] Je dis bien m’abstenir, et non voter blanc : le seul enjeu de cette élection étant le taux de participation, je ne tiens pas à être comptabilisé parmi les votants. Boycott ! (cf. http://boycott.ouvaton.org/Bienvenu...)
[4] Voir son entretien avec Claude-Marie Vadrot (Politis du 21 mai) : « J’ai voté non au traité constitutionnel, mais je n’ai pas fait campagne. Une campagne très écoutée au nom de vieux principes archéo-souverainistes qui nous ramèneraient au repli identitaire sur l’État-Nation. »
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