Libye - Lettre ouverte à l’Humanité quotidienne de Pascale Cherrier et réactions
vendredi 28 octobre 2011, par Comité Valmy
Pascale Cherrier - Bourges
L’Huma, je la connais depuis longtemps : j’ai pratiquement appris à lire avec, c’est dire.
Je l’ai aussi vendue à la criée, sur les marchés. Je l’ai vendue dans les cages de H.L.M. Je l’ai distribuée le vendredi soir ou le samedi matin en tant que C.D.H.
A l’époque, c’était « l’organe du Parti Communiste français » et la première page était frappée du marteau et de la faucille : des symboles. Maintenant, le lecteur sait simplement que c’est « Le journal fondé par Jean Jaurès ». Encore une génération et on ne saura plus que ce quotidien était celui des communistes, un journal d’opinion, un journal marqué politiquement, nettement, clairement communiste. Il ne l’est plus ? Dommage. Il serait temps qu’il le redevienne…
On me dira que j’ai vieilli, que je suis dépassée, que je fais dans la nostalgie et qu’il ne sert à rien de remuer l’histoire…
Hier matin, quand j’ai enlevé le papier transparent pour ouvrir l’Huma à laquelle je suis abonnée, j’ai lu « Libye : Kadhafi, le tyran réduit au silence. » En première page. Puis plus bas, célébrant les martyrs de Chateaubriant : « Soyez dignes de nous ». Quel paradoxe !
J’avais la veille assisté à la mort quasi en direct de Kadhafi sur France 2, j’avais vu les journalistes exultant dans leur propagande grossière, tout affriolés par l’assassinat du « tyran sanguinaire », du « dictateur », écouté notre philosophe de service, B.H.L. expliquant peu ou prou qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Bien évidemment, je ne m’attendais pas à ce que nos chiens de garde mettent en cause le fait qu’il n’y ait pas eu de procès et annoncent que l’OTAN avait réussi là une frappe chirurgicale via le CNT. Mais je ne m’attendais pas non plus à trouver la même indécente absence de discernement, le même discours consensuel, la même absence de réflexion politique dans l’Humanité en première page.
De grâce, un peu de dignité, un peu …d’humanité…
Pascale Cherrier
Reprises sur le site Vendémiaire la pitoyable réponse de "l’Huma", une mise au point de Pascale Cherrier suivie d’un commentaire de Robert Lechêne, ancien journaliste de l’l’Humanité.
Bonjour,
Je lis votre lettre avec stupéfaction. Kadhafi était bien un tyran qui a liquidé les forces progressistes et communistes dans son pays, qui a imposé un pouvoir mégalomane et ubuesque à son peuple et organisé des attentats monstrueux. Cela ne peut être gommé par l’inacceptable intervention de l’OTAN, les sympathies dans le CNT pour Al Qaeda et l’islamisme intégriste, ou par l’insupportable barbarie d’un lynchage. Il faut être capable de sortir d’une pensée mécanique qui supposerait que les ennemis de nos ennemis sont forcément nos amis. C’est ce que fait ce titre de l’Humanité qui rappelle à la fois que l’homme était un tyran et que les puissances occidentales - qui avaient tous les égards pour lui qui marchait main dans la main avec la CIA (et Sarkozy...) ces dernières années - avaient tout intérêt à ce qu’il ne raconte pas leurs accords du passé.
En cela, l’Humanité est absolument fidèle à ses engagements communistes et à la promesse de sa création par Jaurès.
Patrick Apel-Muller
Directeur de la rédaction de l’Humanité
Le 24 octobre 2011
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Une petite mise au point et j’arrêterai de polémiquer :
- j’ai mis en cause l’appel en une sur Kadhafi. Je maintiens. Je suis d’ailleurs confortée dans ma position par le communiqué du PCF transmis dans l’édition de l’Huma du même jour, que je désapprouve également dans sa forme et son contenu. Je suis, au contraire sur les positions de Quiniou passées en "tribune libre" de lundi 23 octobre. Le choix fait en une de vendredi dernier est un choix politique sensationnaliste et ambigu que je désapprouve.
vous me faites un mauvais procès avec la phrase dont l’origine remonte, je crois, à Mélenchon à propos du Tibet : "Les ennemis de mes ennemis ...". Je ne soutiens pas pour autant Kadhafi. Mais je sais où sont les ennemis actuels les plus dangereux. Et l’urgence n’est pas dans la dénonciation de Kadhafi, sauf à vouloir flatter "l’opinion" (largement formatée par nos autres media) dans le sens du poil, mais à la dénonciation de l’entreprise impérialiste des puissances occidentales, ce qui n’empêche pas d’énoncer les vérités que vous écrivez à propos de l’anticommunisme de Kadhafi.
En conclusion, je désapprouve comme erreur politique le fait d’inverser la place des dénonciations dans l’Huma. C’est une ligne éditoriale avec laquelle je suis en complet désaccord et c’est le sens de ma "lettre ouverte".
Meilleures salutations.
Pascale Cherrier.
25 octobre 2011
Le nom des Cherrier signifie quelque chose pour moi, natif de Bourges, qui ai connu dans les années suivant la Libération les deux frères Cherrier, l’un député, l’autre conseiller de la République, élus communistes pour la confiance qu’ils s’étaient gagnée dans leur activité de résistants. Naguère journaliste communiste dans l’organe central du Parti communiste français, j’approuve et je partage ce qu’écrit Pascale Cherrier dans sa lettre ouverte.
Te représentes-tu, Patrick Apel-Muller, la douleur, le déchirement, la colère qu’éprouvent trop souvent maintenant les communistes à la lecture de ce journal dont ils étaient fiers, auquel j’étais fier d’appartenir avant qu’il ne soit passé d’Hue en Mélenchon.
Abonné par un de ces abonneurs dont les lecteurs de l’Humanité ne sont pas autorisés à connaître le point de vue, je suis de ces communistes-là. Quand le lis Quiniou en "tribune libre", j’explose : en "tribune libre" alors que ce qu’il dit aurait dû être l’expression officielle de la direction d’un parti communiste digne de ce nom.
Mais les partis communistes dignes de ce nom n’ont plus place dans l’Humanité, ni le grec, ni le portugais, ni tous ceux qui refusent la voie de la social-démocratisation. Concernant la Libye, au départ classement immédiat dans le "printemps arabe" pas d’éclairage sur les structures sociales du pays, pas de rappel des évolutions du kadhafisme de l’anticolonialisme aux fricotages, de son pas de critique du vote de Mélenchon approuvant l’intervention de l’Otan, pas la moindre analyse des stratégies de l’impérialisme en face des révoltes dans le Maghreb et le Machreb. Sur les bombardements par l’Otan et la France, une discrétion !
Trois lignes au lendemain du vote de refus de l’intervention par les députés communistes. Dans la guerre, quelques observations éclairantes (à condition de savoir lire entre les lignes) dans les reportages de Barbancey, mais pas plus de vigueur du PC à dénoncer la guerre de l’Otan, ses buts, ses tueries, son coût.
Non, vous voilà contents, le tyran est abattu...mais qui a gagné ?
Pourquoi l’Humanité ne nous dit-elle pas que c’est l’impérialisme ? Pas vu sur l’Huma de photos de Sirte détruite comme un Guernica, pas d’indignation sur les 70.000 morts de cette opération "humanitaire", la faute à Kadhafi, bien sûr ! Quand je lis ce qu’écrit Danièle Bleitrach sur son blog, me vient la nostalgie du temps où les PCF avait encore des cerveaux dans sa direction Et quand je lis ta réponse à Pascale Cherrier, sincèrement, Patrick Apel-Muller, je me souviens d’Ivry, je suis triste, je te plains.
Robert Lechêne
Le 27 octobre 2011
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