POINT DE VUE : La Lettre de Léosthène 24 janvier 2009, n° 455/2009
samedi 24 janvier 2009, par Comité Valmy
Redessiner le monde de l’après crise : tel est, en toute modestie, le thème de la 39ème édition du Forum économique mondial qui se tiendra dans les Alpes suisses, à Davos, du 28 janvier au 1er février prochains. Et l’on se presse pour retrouver ses collègues, en nombre. Ainsi, 43 chefs d’Etats seront présents, le double des années précédentes – et 2500 invités. Moins « bling-bling », plus sobre, Davos 2009 fera son mea culpa, selon son directeur général, André Schneider rapporte la Tribune de Genève. « Dans la crise actuelle », a-t-il ainsi déclaré hier, en dévoilant les personnalités attendues, « Davos sera une sorte de sanatorium pour l’économie mondiale. Nous tenterons de lui apporter un peu d’optimisme. » Convalescence d’une crise de folie ou thérapie d’une tuberculose financière ? On ne sait pas très bien .
Une réunion comme d’habitude ? Pourquoi les chefs d’Etat y sont-ils cette année en si grand nombre ?
Du premier ministre russe Vladimir Poutine (qui ouvrira les débats) à Wen Jiabao, son homologue chinois, de Gordon Brown à Angela Merkel, du japonais Taro Aso au mexicain Felipé Calderon, du Secrétaire général de la ligue arabe, Amre Moussa au président israélien Simon Peres, de Manuel Barroso au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Ban Ki-moon, avec 96 pays représentés au total (presque) tout le monde sera là. Presque ? Barak Obama excepté, il se fait représenter par Lawrence Summers, son conseiller économique, et, curieusement, par le général James Jones, conseiller à la sécurité nationale de Etats-Unis (NSC) et ancien commandant Suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), de 2003 à 2006. Il pourrait être rejoint par Timothy Geithner, nouveau Secrétaire d’Etat au Trésor et successeur d’Henry Paulson.
Bien sûr il y a aussi le gotha des dirigeants d’entreprises, avec toutefois, remarque Le Temps helvétique, des rangs clairsemés chez les banquiers ( il faut particulièrement décortiquer la liste des « business leaders » pour leur trouver des collègues ) et des vedettes comme Nouriel Roubini, économiste et universitaire américain qui s’était échiné, en vain, à prévenir les acteurs du monde politique et économique que les choses n’allaient pas aussi bien que les précédentes réunions de Davos le proclamaient. Davos tient (tenait ?) sa légitimité de la puissance des acteurs économiques dont la réunion symbolise les progrès de la mondialisation, dont ils sont les artisans et les bénéficiaires. Dans la perspective de l’économie globale, les quelques centaines des plus grandes entreprises mondiales sont les véritables puissances commerciales du moment puisque, selon quelques rares estimations, les deux tiers des flux commerciaux de marchandises dépendent d’elles écrivait en 2006 Paul Dembinski, professeur d’économie à l’Université de Fribourg et directeur de l’Observatoire de la finance (1).
Les 800 plus grandes entreprises non financières du monde (cotées en Bourse) représentent près des deux tiers de la capitalisation mondiale des Bourses. Elles sont donc – avec les gouvernements aux budgets déficitaires – le pivot et la raison d’être des marchés financiers (...). Du point de vue de l’emploi, le groupe des méga-entreprises apparaît comme très peu important puisqu’il n’emploie que 1% de la population mondiale en âge de travailler, soit environ 30 millions de personnes. Pourtant, cette force de travail contribue directement à un peu plus de 10% du produit mondial, soit autant que 1 milliard des personnes en âge de travailler habitant les 140 pays les plus pauvres de la planète . Au début de cette année 2009, il suffit d’un coup d’oeil sur les bourses et sur les chiffres du chômage pour comprendre l’ampleur de leur malaise.
Pour les marchés financiers en déroute, le moment est grave. Soudain, le secteur bancaire semble revenu quatre mois en arrière. Comme lors de la faillite de Lehman Brothers (le 15 septembre 2008) chaque journée est rythmée par son lot de nouvelles désastreuses (...). Et comme en septembre, la rumeur devient poison mortel (...). Cette rechute des « subprime » intervient alors que les gouvernements croyaient pouvoir maintenir à flot leurs banques à coup d’injections massives de fonds publics (2) écrit le Temps du 20 janvier. On en parle de plus en plus, ajoute le New York Times, Les gouvernements auront-ils à acheter les actifs toxiques pour les réunir dans une mauvaise banque (bad bank) ou une banque de regroupement (aggregator bank) qu’ils financeraient ? (...) Les banques pourraient ne pas vouloir de cette ouverture, parce qu’évaluer précisément leurs actifs toxiques pourrait en obliger certaines à enregistrer de lourdes pertes, à admettre leur insolvabilité et à fermer boutique (3).
Notons que les plus responsables du maelström actuel sont les plus absents : la crise financière est partie des Etats-Unis, mais Barak Obama travaille chez lui, elle entraîne l’économie réelle mais les banquiers restent chez eux. Et que ceux à qui revient in fine la charge financière et politique d’une déroute qui bouleverse le monde et la vie des populations sont les politiques – eux, très présents – , ceux-là mêmes auxquels financiers et acteurs économiques déniaient ces dernières années, au sein du Forum économique mondial, la légitimité d’interférer dans les affaires économiques. Ils n’étaient pas les seuls. Qu’avons-nous vu en effet ? Le développement progressif d’associations d’intérêts privés revendiquer une légitimité parallèle (organisations non gouvernementales, églises, groupes d’influence informels) et non subordonnée à celle des Etats – c’est-à-dire, au moins en démocratie, des élus, de ceux qui représentent le bien commun.
La bourrasque a emporté – pour l’instant – les discours sur les nouvelles légitimités, l’effacement du politique et le moins d’Etat. Et si 43 chefs d’Etat ont choisi d’assister cette année au Forum, c’est avec l’autorité retrouvée de ceux qui détiennent les cordons d’une bourse très sollicitée, celle des nations qu’ils représentent, celle de leurs électeurs, celle de ceux qui vont régler la note au final. Note pharaonique. Les banquiers absents en ont creusé la plus grande part. Mais les acteurs économiques sont bien présents, eux, avec la multiplication des plans de relance qui leur sont vitaux. Et là, le problème est complexe : faut-il privilégier les secteurs anciens (l’automobile, par exemple), vecteurs de croissance jusqu’ici et porteurs de millions d’emplois par le passé – quand nous changeons d’ère et de comportements ? Comment assurer la transition avec demain ? Comment s’assurer des outils de l’échange (monnaies, système financier) adéquats ?
Il n’est donc pas mauvais que ceux qui auront la responsabilité politique – la légitimité – de ces choix rencontrent, écoutent, travaillent avec les acteurs économiques qui ne peuvent pas seuls redessiner le monde de l’après crise quoiqu’en disent (encore !) certains des experts adeptes des algorithmes magiques de la finance – ou leurs confrères nostalgiques, appelant de leurs voeux un retour à l’avant crise. Nous ne doutons pas que les chefs d’Etat présents ont à l’esprit quelques exemples terribles, comme la faillite de l’Islande, la déroute de l’Irlande et de la Grande Bretagne, le naufrage américain, les craquements de l’Asie, les tensions sur les monnaies, pour faire court. Et qu’ils ont parfaitement entendu les rues résonner des cris de révolte (Grèce, Lituanie, Bulgarie, Chine...) auxquels ils avaient été sourds (5) il y a peu (émeutes de la faim). Il est bon aussi qu’ils se rencontrent (ce qu’ils n’avaient pas fait à cette échelle en 1929) quand ils ont ensemble à charge de redessiner, eux, un ordre mondial cohérent.
Cette fois, l’urgence exclut la paresse. Le G20 (85 % du PNB mondial) se réunira à Londres, en présence cette fois de Barak Obama, le 2 avril prochain. Il s’agira, en continuation de la réunion du 15 novembre dernier, de réformer le système financier international, et de prendre des mesures à haute priorité selon le Premier ministre britannique qui préside le groupe depuis le 1er janvier. En espérant que le cours, l’observation des choses et le travail accompli entre temps les aient instruits et aidés à surmonter leur désarroi initial. Parce qu’ils ont, eux, la responsabilité de leurs actes, dont ils devront rendre compte, ce qui n’est pas le cas des chats gras (fat cats) qui ont fait bombance dans les neiges de Davos depuis presque quarante ans – avec beaucoup d’arrogance pour les résultats que l’on voit.
Davos l’année d’après : convalescence d’une crise de folie ou thérapie d’une tuberculose financière ? On ne sait pas très bien. Un diagnostic, peut-être ?
Hélène Nouaille
Notes :
(1) Observatoire de la Finance, le 25 janvier 2006, Paul H. Dembinski, Mesurer la légitimité de Davos par rapport aux autres légitimités existantes http://www.obsfin.ch/documents/about-press-letemps-jan06.htm
(2) Le Temps, le 20 janvier 2009, Pierre-Alexandre Sallier, Violent retour de flamme de la crise bancaire internationale http://www.letemps.ch/template/economie.asp ?page=9&article=248162
(3) The New York Times, Edmund L. Andrews, le 21 janvier 2008, As Bank Crisis Deepens, Obama Has No Quick Fix http://www.cnbc.com/id/28768197
(4) Les Echos, le 23 janvier 2009, Nicolas Barré, Quand l’Asie craque, http://www.lesechos.fr/info/analyses/4822556-quand-l-asie-craque.htm Cette Asie si commerçante se recroqueville sur elle-même, littéralement à vue d’oeil. Chacun a en tête le spectacle fascinant des ports de Shanghai, Yokohama, Singapour ou Hong Kong grouillant d’activité. La mer couverte d’une multitude de cargos. Les mouvements incessants du commerce. Cela n’est plus qu’un souvenir. Il faut savoir qu’aujourd’hui entre le tiers et la moitié de ces cargos ont disparu du paysage : les exportations du Japon vers la Chine ont chuté de 35 %, le trafic maritime entre la Chine et l’Australie s’est effondré, les échanges entre les deux rives du Pacifique ont fondu d’un tiers. Cela en quelques mois .
(5) Voir Léosthène n° 388/2008 Emeutes de la faim : l’autre crise ou la même ? (accès libre) http://www.leosthene.com/spip.php ?article827
Léosthène, Siret 453 066 961 00013 FRANCE APE 221E ISSN 1768-3289. Directeur de la publication : Gérald Loreau (gerald.loreau@neuf.fr) Rédactrice en chef : Hélène Nouaille (helene.nouaille@free.fr) Copyright©2009. La Lettre de Léosthène. Tous droits réservés.
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